"La Païenne" extrait 1

 

-Cours, Bélissenda, cours!

La cohorte des femmes s'élance dans la forêt, bondissant comme un troupeau de biches folles dans les fougères et les taillis, sautant par-dessus les ronciers, échevelées, suantes, rieuses.

 

Sous l'exhortation de Maria-la-fière, Bélissenda redouble d'ardeur, se faufilant entre les jeunes hêtres, les grands chênes et les charmes aux feuilles crénelées.

Ses petits seins d'adolescente tressautent sous le bliaud délacé par la course. Elle rit en haletant, insensible aux griffes malignes des mûriers, aux gifles de feu des branches sèches, aveugle aux lièvres, mulots et musaraignes qui détalent à toute allure devant cette horde de femmes frémissantes et piaillantes.

 

-Allez cours, Bélissenda!  Cours, ma hadette!

Maria-la-fière la précède de quelques enjambées, abandonnant dans son sillage ses effluves de femme mûre et toujours belle, ses parfums musqués, poivrés, dont l'humus de la forêt nuance encore la fragrance.

Bélissenda, narines ouvertes, se repaît de cette odeur animale qui l'enivre, la trouble et l'exalte.

Elle voudrait que cette course n'ait jamais de fin;  elle aimerait bondir indéfiniment par dessus les ronces, emportée par la folie commune, répondant de sa voix fluette aux cris rauques des femmes.

Elle entend dans son dos le souffle bruyant de la vieille Anna dont les pas raccourcis par l'âge sont largement compensés par une connaissance parfaite de la forêt. La jupe enroulée autour de la taille, l'aïeule évite sans même réfléchir les buissons touffus, coupe au plus court entre deux massifs, joue des coudes entre les branches.

 

Là-bas, à droite, sur un sentier parallèle, la chevelure blonde de Quitterie lance un éclair entre les feuilles fraîches gorgées de sève, à peine écloses de la lune précédente.

Sur la gauche, c'est la silhouette alourdie de Guilhemette, grosse de son premier enfant. De ses deux mains croisées, elle soutient son ventre en réclamant qu'on l'attende. Ses cheveux noirs, roulés et attachés sur la nuque, se libèrent petit à petit en mèches ondoyantes et lustrées. La sueur fait briller la peau de sa gorge brune, veloutée comme une feuille de sauge.

Devant, derrière, partout s'étend le troupeau bondissant des femmes du village, vingt-huit femelles possédées par l'ivresse du printemps, ensorcelées par l'appel de la forêt en rut...